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Endoctrinement et dérives dans les églises au Gabon

  • kissmaganga
  • 9 oct. 2021
  • 7 min de lecture

Lorsque le christianisme a été introduit au Gabon durant l’époque coloniale, c’était alors une arme pour contrôler les masses plus qu’une religion au message de paix. Que leurs intentions aient été de guider les populations locales vers ce qu’ils considéraient comme la vraie foi ou d’aider les empires coloniaux à mieux les contrôler est une question secondaire. Dans les faits, les conséquences ont été les mêmes: acculturation et contrôle des masses. Le christianisme ne pouvait pas s’installer sans l'annihilation des croyances locales mais ce n’est pas exactement ce qu’il s’est passé. Certes, de grandes parties des cultures des peuples colonisés ont disparu, perdues dans des décennies de flagellation, mais le reste a perduré et s’est adapté, se mêlant aux nouvelles croyances et pratiques. C’est aussi ce qu’avance l’historien Pierre Guidi dans ses propos sur l’arrivée du christianisme en Afrique : “Le phénomène le plus répandu a été celui de l’appropriation. (...)En fonction de leur propre terreau religieux et culturel, les colonisés ont assimilé, réinterprété, transformé la religion, transmise sous forme de dérivations créatives.”


Dans le Gabon actuel, la religion chrétienne et l’animisme font partie intégrante de la société et sont tantôt opposées, tantôt conjointes. On retrouve ce syncrétisme dans d’autres aspects de la culture comme l’éducation; la société gabonaise tente d’atteindre le modèle français qui lui a été donnée comme référence mais reste ancrée à son passée et sa culture d’origine. Quiconque qui a déjà assisté à une messe au Gabon sait que le déroulement du culte ainsi que les thèmes abordés sont très différents de leurs équivalents du reste du monde. Les messes au Gabon ont gardé l'empreinte des rites passés : elles sont rythmées par des danses et des chants typiques de la région et il n’est pas rare d’entendre parler de “sorciers”, “génies” , de “féticheurs” ou “d’esprits” issus des pratiques animistes. Cependant, il faut revenir aux bases du christianisme pour comprendre la première divergence entre le christianisme enseigné par les missionnaires tels que Jean-Rémi Bessieux et celui pratiqué dans le pays actuel. La principale différence est déjà dans la branche du christianisme pratiquée; alors qu’en France le catholicisme est dominant, au Gabon, l’Église évangélique est beaucoup plus fréquentée et occupe une place importante dans la culture du pays. La complexité des églises évangéliques est qu’elles ne sont pas toutes affiliées à une institution globale. Il y a parfois des organisations comptant un certain nombre de sous-branches mais c’est plus officieux. Il n’y a pas d’équivalent du pape ni d'instance dédiée à l’enseignement et l’encadrement des pasteurs, même si l’autogestion de l’Église catholique a elle-même mené à ses propres dérives. Ceci signifie qu’il n’y a aucun moyen de s’assurer que les personnes décidant de prêcher la Bible ont de véritables compétences ou même une véritable vocation. L’argent est très certainement une grande motivation pour ces pasteurs puisqu’en fin 2020 le président de l’Église évangélique du Gabon, Augustin Bouengoune, et ses complices ont été arrêtés pour le détournement de 200 millions de Francs CFA. Cet argent avait été donné par l’État dans le cadre d’une campagne d’aide à la scolarisation des enfants en situation difficile.

Au Gabon, quiconque le veut peut ouvrir une église et ils sont de plus en plus nombreux. En 2012, l’anthropologue Mélanie Soiron Fallut dénombre plus de 150 000 fidèles dans les églises dites de “réveil”, c’est presque 9% de la population du pays. Cependant, le mouvement s’est multiplié de manière exponentielle et il est facile de voir sur le terrain que cette part est beaucoup plus importante aujourd’hui et à peut-être même dépassé la part de visiteurs d’églises catholiques. Le terme “église de réveil”, que l’on retrouve aussi sous la forme “d’église éveillée”, réunit des églises aux mouvances chrétiennes indépendantes évangéliques, pentecôtistes, néo-pentecôtistes, charismatiques, ou encore prophétiques qui étaient déjà dénombrées à plusieurs milliers dans le rapport de Fallut. Il n’est pas rare de voir de nouvelles églises apparaître dans des bâtiments qui avaient auparavant des fonctions en tout genre où même dans les logements privés de leurs dirigeants. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’aspect informel n’est pas décourageant pour les fidèles qui sont toujours plus nombreux à remplir les salles. C’est ainsi qu’avec le temps l’Église est devenu un commerce des plus lucratif avec des pasteurs s’enrichissant des dons non-imposables et toujours plus importants faits par leurs fidèles. Pour assurer leur crédibilité et le flux constant d’argent qui va avec, ils redoubleront d’efforts dans leurs prestations. Ainsi, le lieu de culte se transforme en un endroit à mi-chemin entre la discothèque et la vente aux enchères. Un concours s’installe entre les pasteurs qui redoublent d’effort et de vigueur pour galvaniser les foules. Ces efforts se définissent généralement comme une prestation bruyante accompagnée de sauts, de cris et d’une musique forte et rythmée. Le contenu du discours lui-même est dans le fond relativement similaire entre églises, beaucoup de terreur, de fustigation de l’audience et enfin la promesse d’une absolution si on suit les recommandations du pasteur, car lui seul détient le secret du pardon. Ces dernières seront très souvent des sessions de prières appelées pour l’effet dramatique des “séances de délivrance” mais peuvent aussi être des actes plus extravagants ou allant directement piocher dans les pratiques animistes qui étaient condamnées l’instant d’avant. Leur comportement n’est pas sans rappeler celui des missionnaires qui s'assuraient l’obéissance des populations en diabolisant non seulement des éléments importants de leurs cultures, mais aussi des éléments d’apparence insignifiants de leurs comportements au quotidien. La diabolisation est une étape en commun entre la colonisation et l’intégration à une secte, il est essentiel de couper la victime son entourage et ses habitudes en les rendant responsable de chacun de ses problèmes actuels. Mais pourquoi y a-t-il au Gabon et ailleurs, tant de personnes disposées à écouter et suivre les directives de ces nouveaux gourous ?


Il n’est pas rare dans les familles d’entendre parler d’une personne qui s’est nouvellement “trouvée dans sa foi” et qui, depuis, tient un discours plus extrême sur ce qui devrait être interdit et ce qui est “démoniaque”. Ces personnes, souvent des femmes, ne parleront plus que de leur nouvelle église et tout ce qu’elles ont pu y apprendre, chanteront les louanges de leur nouveau pasteur qui sera une figure de guide presque paternelle des fois, d’autres celle d’un amant. Leur vie sera d’après elles changées car elles seront “délivrées de tous les démons qui les habitaient” et étaient responsables de chacun de leurs problèmes. Il y aura au final une dualité entre la faible remise en question dûe au fait que les problèmes ne viennent pas directement d’elles et la constante autoflagellation sur leur incapacité à empêcher ces “démons” d’agir; tout ceci sur un ton de peur du châtiment certain qui s’abattra sur elles. À force d’être en constant conflit avec elles-mêmes et avec les autres ou par peur d’être souillées, les personnes les plus fragiles finiront par s'isoler de leurs proches qui ne partagent pas leurs idéaux. Elles vivront dans une bulle de souffrance avec de faibles moments de répit qui leur viendra comme la preuve que leur pasteur avait raison et que si elles continuent à le suivre, et à le soutenir financièrement, leur récompense n’en sera que plus grande. Car oui, bien que la vie éternelle et le salut fassent partie du discours de ces gourous, l’essentiel de leur prêche est sur l’obtention du bonheur sur terre. Les visiteurs de ces lieux sont souvent des personnes défavorisées à l’esprit fragilisé par une vie de rudesse où il y a peu d’espoir de développement personnel et professionnel. Les fidèles de ces pasteurs laissent alors tout esprit de jugement sur le pas de la porte et se laissent guider par cette lueur d’espoir dans leur vie morose. Ce sont des proies faciles pour ces hommes qui sont devenus des spécialistes de la manipulation. Certains se sentent même si emplis de pouvoir et intouchables qu’ils séduisent les femmes qui leur confient leurs âmes et leurs espoirs et entretiennent avec elles des relations amoureuses ou purement sexuelles en gardant le même argument de la réalisation de tous leurs désirs. C’est ainsi que le pasteur télévangélique nigérian Timothy Omotoso a été poursuivit en 2018 pour le viol d’une treintaines de jeune femmes mineures et traffic d’êtres humains. Cette histoire avait soulevé l'indignation mais aussi un questionnement sur les pratiques des pasteurs évangéliques. Depuis cet incident, de nombreux autres témoignages ont été entendus, certains concernant des pasteurs très respectés. En plus du danger d’abus, l'endoctrinement peut avoir un effet néfaste sur la vie des adeptes. C’est ce que raconte Suzanne, une gabonaise chrétienne mais aussi amoureuse de savoir dont la nièce est décédée il y a peu de la tuberculose. Le lien entre cet événement tragique et les dérives dans les églises se trouve dans la gestion de sa maladie. En effet, la jeune femme est restée longtemps souffrante mais ni elle, ni sa famille immédiate n’avaient pris l’initiative d’aller à l’hopital mais avaient plutôt choisi d’écumer les églises et praticiens des rites ancestraux afin de la délivrer de ce mal qu’ils pensaient surnaturelle. Des cas de ce genre sont courants car la science est l’ennemi de ces pasteurs dont l’influence repose sur l’idée qu’eux seuls sont capables de guérir les malades et de régler les situations les plus difficultueuses. Ces pensées ne sont pas aidées par le système éducatif défaillant du pays avec un taux de scolarisation de seulement 21,1% en 2019 (Unesco).


Il serait difficile d’établir un nombre exact de victimes tant ce phénomène est répandu mais c’est bel et bien un problème récurrent au Gabon et certainement dans d’autres pays dans lesquels la religion est arrivée dans contexte coloniale. Après tout, Aimé Césaire lui-même parlait “d'une grande famille de cultures africaines qui mérite le nom de civilisation négro-africaine et qui coiffe les différentes cultures propres à chacun des pays d'Afrique”. C’est pour cela que dans de nombreux pays d’Afrique Subsaharienne les journaux ne manquent pas d’exemples à ce sujet et démontrent à quel point cela peut prendre des proportions extrêmes. Il n’y a pas si longtemps encore que l’on entendait parler de rejets ou de meurtres au sein de familles, poussées par des accusations lancées par des pasteurs. Ces hommes qui manipulent des sociétés laissées fragmentées par la colonisation prospèrent dans la souffrance et la discorde en servant de jonction véreuse entre le passé et le présent. Il est ardu de s’imaginer un retour à l’unité et la cohésion tant que ces mouvements seront encore répandus. “La culture, c’est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre”. Cette phrase de Milan Kundera explique parfaitement pourquoi ce phénomène existe. Lorsque dans la colonisation, le christianisme a effacé la culture des peuples africains, il a créé des fractures dans les fondements même de ces sociétés et elles ont été comblées par la dérive sectaire se faisant passer pour une religion. Alain disait que “Dans la religion, tout est vrai, excepté le sermon ; tout est bon, excepté le prêtre.” et il est difficile de ne pas lui donner raison dans ce contexte.


 
 
 

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